Un échange beckettien que j’ai eu sur WhatsApp avec Alma résume au mieux cette question éternelle de retourner vivre au Liban ou non.
« Je ne veux pas rester vivre ici.
– Tu veux aller où ?
– Je ne sais pas encore mais ici, ce n’est plus possible.
– Tu disais la même chose de là-bas.
– Là-bas, ce n’était pas pareil. Je n’arrivais plus à aller de l’avant, je n’envisageais plus l’avenir.
– Ici aussi, tu n’envisages pas l’avenir.
– Peut-être… Mais ça ne change rien au fait que je ne veux pas continuer à vivre ici.
– Tu as envie de retourner là-bas ?
– Impossible !
– Pourquoi impossible ?
– Tu as vu la situation ?
– Elle est pareille qu’avant, elle a toujours été catastrophique.
– Maintenant plus qu’avant.
– Tu penses ?
– J’en suis certaine.
– Tu as peut-être raison.
(Un temps.)
– Je veux vivre à la mer. Je n’en peux plus du gris de cette ville.
– Je te comprends mais qu’est-ce qu’on pourrait y faire ?
– Vivre.
– Ce n’est pas suffisant.
– Comment est-ce possible que vivre ne soit pas une activité suffisante ?
– On vivrait de quoi ?
– De mer, de soleil et d’eau fraîche.
– Ce n’est pas la vraie vie !
– Alors quoi ? C’est quoi la vraie vie ?
– La vraie vie, c’est ça, c’est d’avoir envie de mer, de soleil et d’eau fraîche mais de ne jamais y parvenir à la vivre cette vie.
– J’emmerde la vraie vie.
– Moi non, elle me permet de vivre. Si tu vivais de mer, de soleil et d’eau fraîche, de quoi rêverais-tu !
– Moi, je ne rêve jamais.
(Un temps.)
– J’aimerais retourner vivre là-bas !
– Quand tu dis là-bas, tu parles de « là-bas » ?
– Oui.
– Tu m’as dit le contraire il y a deux minutes.
– Oui, ben j’ai changé d’avis. J’ai bien réfléchi : j’aimerais retourner vivre là-bas. Chez nous.
– Tu veux dire « chez toi ». Là-bas, ce n’est pas chez moi.
– Comment ça ?
– Je suis né ici.
– Tu dis toujours qu’ici ce n’est pas chez toi !
– Mais là-bas non plus ce n’est pas chez moi. Un jour aussi tu verras, tu diras comme moi.
– Je ne pense pas.
(Un temps.)
– Tu penses qu’on va mourir ici ?
– Probablement, mais on jettera nos cendres là-bas. »